jeudi 17 mai 2012

De rouille et d'os


Réalisé par : Jacques Audiard

Avec : Marion Cotillard, Matthias Schoenaerts, Corinne Masiero...

Durée : 1h55

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Pouvez-vous affronter le monde avec vos poings levés, et avancer, sans peur ? Tout tourne autour de cela. Des mots, de la main de l'écrivain Craig Davidson, transcendés à l'écran par le tourbillonnant nouveau fragment de l'oeuvre d'Audiard, fils. Le cinéaste français s'émancipe du microcosme asphyxiant et carcéral d'Un prophète pour composer une symphonie sensorielle en pleine lumière, sous le soleil du Sud de la France. Ali (Matthias Schoenaerts) débarque sans le sou chez sa sœur, à Antibes, avec son fils Sam, qu'il connaît à peine, et une rage sombre qu'on décèle derrière ses yeux clairs. Stéphanie (Marion Cotillard) dresse des orques et se nourrit des égards du public, et des hommes, pour se sentir vivante... jusqu'à ce jour tragique où elle perd ses jambes.

De ces deux êtres mutilés, Audiard orchestre, la veille de l'accident, la rencontre, somme toute banale, à coup de baston en discothèque et de sang sur les lèvres. Il y a une intuition proprement lyrique chez le réalisateur à sublimer, par l'accrochage d'un regard détourné, d'un geste anodin, l'aura insensée de ses acteurs. Après le prince noir Rahim, Audiard s'est trouvé une nouvelle tête brûlée en la silhouette bourrue du flamand Schoenaerts, géniale révélation de Bullhead. Face à lui, Marion Cotillard, muse candide et délicate, transpire de pudeur et de finesse, dans ce qui est sans conteste le plus beau rôle de sa carrière.

C'est que le couple a dans son visage et son jeu cette disposition à incarner tous les subtilités désirées par le metteur en scène. Comme un puzzle privé d'une pièce, Stéphanie s'assemble et se reconstruit par étape, en combattant la dépression et l'envie d'en finir qui l'assiègent . Un long processus qui s'achève enfin lorsqu'elle accepte d'être à nouveau une femme qui désire, et donne du désir. « Moi je suis quoi pour toi ? Une amie ? Une copine ? Un genre de pote ? Si tu veux qu'on continue, faut faire les choses bien » lance Stéphanie, quand la perte de repères se conjugue avec un être cher. Ali, ce mâle brut(e) passé maître dans l'art de transformer son existence en cycle autodestructeur, se montre inapte à faire la différence entre délicatesse affective et délicatesse amoureuse. Tout un pan de la société contemporaine, ce jeu du « j'te baise, moi non plus », cristallisé dans cette frontière amorphe entre amitié et amour. Une fusion des corps, une ambiguïté relationnel comme seul Audiard en a le secret.

Le cinéaste n'omet pas d'ajouter à son histoire d'amour une toile de fond sociale. On y voit, pêle-mêle, des combats de boxe clandestins, comme exaltation de la pure violence masculine ; des pots de yaourt périmés qu'on récupère en douce ; une lutte entre patrons espions et ouvriers épiés. Pourquoi ? Pour ancrer son long-métrage, sublime bulle solaire, dans une ère plus réaliste et dramatique, peut-être. On peine à trouver goût pour ses tribulations, tant subjugués que nous sommes par les instants de grâce du duo, capturés avec sensualité et retenue par la caméra d'Audiard. On est soufflé quand Stéphanie brave son malaise et s'offre une baignade, moignons apparents, sous le regard médusé des vacanciers. On est sidéré quand Ali fait voler en éclat sa prison de glace pour sauver son fils, et son humanité. On est en pleurs quand, dans un lugubre couloir d'hôpital, s'échappe un «  Je t'aime » à peine audible.

Jacques Audiard explore, sans boussole, sa réinterprétation de l'amour et de la renaissance. Sur fond de musique envoûtante,
De rouille et d'os irradie d'une telle maîtrise qu'on ne sort pas indemne de ce flamboyant voyage onirique. L'imperfection filmé à la perfection.
  

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